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Par MIKIDACHE Darchari, président du Cercle des Economistes et des Experts Comoriens (CEEC)

Article  redigé en 2010 et rediffusé


Selon le document de Stratégie de réduction de la Pauvreté (DSCRP) aux Comores les fonds envoyés par les ressortissants comoriens vivant en France et à l'étranger dépassent les 40 millions d'euros soit presque autant que le budget national de l'Etat comorien évalué à 48 millions d'euros (24 milliards de francs comoriens)

Beaucoup de Comoriens envoient de l'argent dans leur pays d'origine afin d'aider leurs familles dans un esprit de solidarité et d'assistance plus ou moins permanente. Une majorité d'entre eux transfère les fonds en donnant de main à main à des compatriotes qui rentrent au pays. D'autres utilisent les services d'intermédiaires comme Western Union ou Travelex ainsi que parfois les virements bancaires. Cependant le coût de transfert de ces fonds restent relativement élevés et l'argent envoyé vise avant tout à aider la famille ou pour répondre aux besoins essentiels de . Cet argent n'est pas forcément utilisé pour contribuer au financement des projets de développement économique ou de création d'entreprises individuelles ou associatives. Pourtant le pays manque de ressources pour financer ses programmes de développement économique et social. Le rôle de la diaspora dans le financement de l'économie comorienne est reconnu mais reste jusqu'à présent insuffisamment soutenu.

Les nouvelles autorités comoriennes semblent avoir pris conscience de l'importance de faire participer la diaspora au développement des îles. Selon le document de Stratégie de réduction de la Pauvreté (DSCRP) aux Comores les fonds envoyés par les ressortissants comoriens vivant en France et à l'étranger dépassent les 40 millions d'euros soit presque autant que le budget national de l'Etat comorien évalué à 48 millions d'euros (24 milliards de francs comoriens). Sur un plan international, la Banque Mondiale évalue les transferts de fonds des migrants à 160 milliards d'euros en 2006 alors en 2004, ils étaient estimés à 126 milliards de dollars selon le Fonds Monétaire International (FMI). La prise en compte de cette manne financière apparaît d'autant plus cruciale que le volume de l'aide publique au développement a tendance à diminuer et que dans 75% des cas l'argent provenant des expatriés sert pour répondre aux besoins essentiels de la population : achats de produits alimentaires, livres, frais de scolarité, médicaments etc. Dans ce contexte, comment faire pour diminuer les coûts de transferts des fonds et faire en sorte qu'ils soient le plus possible orienté vers le développement économique et social des Comores ?

Quelques pistes pour diminuer les coûts de transfert

Avant tout, il est important que la concurrence joue pleinement son rôle entre les opérateurs privés de transfert de fonds. L'installation de la société Travelex au Comores pour concurrencer la Western Union permet de casser le monopole dans ce domaine. Il serait souhaitable que d'autres opérateurs privés comme Money Gram puissent également venir s'installer aux Comores. Cela créerait les conditions d'une véritable concurrence entre les sociétés de transferts de fonds et permettrait à terme l'abaissement des coûts de transferts.

De plus, il serait souhaitable que la Banque Centrale des Comores (BCC) puisse intervenir pour faciliter la diminution des frais de virements bancaires en prenant en charge une partie des frais à l'exemple de ce que fait la Banque Centrale de Turquie. Cette dernière supporte une part significative des coûts d'acheminement des transferts de fonds des Turcs( notamment vivant en Allemagne) établis à l'étranger grâce notamment à la mobilisation des réseaux bancaires turcs et des caisses d'épargnes des pays d'accueil dans le cadre d'une stratégie d'appui de l'économie nationale et d'implication de la diaspora dans le développement économique de la Turquie.

Les Autorités publiques devraient également améliorer l'information sur les coûts de transferts en créant par exemple un site Internet de comparaison des différents coûts de transfert et de virement de fonds des expatriés comme l'a fait l'équivalent britannique de l'Agence française pour le développement (AFD) le « Department for International Development » tout simplement avec son site de comparatif des commissions demandées par les banques et les sociétés de transfert : www.sendmoneyhome.org. Cela a permis d'abaisser les frais de transfert d'une manière globale à l'exemple des transferts vers l'Inde qui ont baissé de 30%. La Banque Centrale des Comores ou l'Ambassade des Comores en France pour créer un site de comparatif et de services en ligne afin d'informer la diaspora sur les prix et sur les mesures prises par le gouvernement dans ce sens.
Une autre stratégie pour réduire le coût des transferts de fonds serait de créer des comptes jumeaux ou miroir. Par exemple, un Comorien qui ouvre un compte en France pourrait bénéficier de l'ouverture d'un compte identique dans une banque partenaire aux Comores. Des cartes de débit pourraient ainsi être données à la famille du détenteur du compte en France. Cette stratégie a l'avantage de la simplicité et de l'efficacité.

L'orientation des fonds de la diaspora vers le secteur productif exige une stratégie novatrice tant en termes de réorganisation du secteur bancaire et des services administratifs qu'en termes de volonté politique.

Impliquer les banques locales en créant un partenariat avec les caisses d'épargne des pays d'accueil et créer des services de conseils en matière d'investissement et de création d'entreprises et de projets de développement économique aussi bien dans les domaines associatif et communautaire que dans le secteur marchand peuvent contribuer à orienter les transferts de fonds vers les secteurs productifs de l'économie de l'Union des Comores.

La mobilisation des banques installées aux Comores et des caisses d'épargne ou de micro-crédits comme la Banque postale ou Mecks reste primordiale. L'orientation de l'argent envoyé par les comoriens vivant à l'étranger vers le secteur productif implique une véritable volonté politique et une concertation avec tous les acteurs institutionnels que ce soit les opérateurs économiques, les chambres de commerce et de l'industrie, les mairies, les syndicats, les associations, les responsables politiques et la diaspora. Des consultations, des campagnes d'explication et d'information s'avèrent nécessaires pour créer une révolution pacifique permettant le changement des mentalités. Mais cela ne suffira sans doute pas.

Il faudrait créer des services de conseils à la création d'entreprises dans les ambassades avec la nomination de conseillers économiques et financiers capables d'assister les compatriotes dans leurs projets individuels ou collectifs et afin de présenter les opportunités d'investissement aux Comores. De même, une agence nationale de la promotion des investissements et de la création d'entreprises devrait être créée pour renforcer la politique économique du gouvernement. Pourquoi ne pas créer un guichet unique au sein des ambassades pour tout ce qui concerne les investissements en direction des Comores et des services en ligne proposant une vision globale de la situation économique et sociale du pays avec la promotion du code d'investissement ?


L'institutionnalisation des conseils d'investissement au sein des opérateurs privés et la mobilisation des réseaux bancaires et de micro-crédits des pays d'origine et des pays étrangers peut être réalisée si elle est précédée par une bonne gouvernance, un système bancaire fiable, le respect des droits de propriétés et un code d'investissement incitatif et lisible. Une gestion saine et rigoureuse des finances publiques et l'adoption de stratégies de développement associant les acteurs de l'économie apparaissent nécessaires pour donner une plus grande crédibilité de la politique économique nationale. Cela facilitera les négociations futures pour la recherche de partenariats bancaires notamment en France. Des accords de banque à banque sont nécessaires. Les autorités publiques doivent jouer un rôle déterminant.

Les actions de la diaspora dans le secteur productif doivent être encouragées.

La diaspora contribue également au développement économique et social en effectuant d'autres transferts invisibles tels que le savoir-faire, les comportements économiques, les échanges culturels et sociaux tels que l'électrification, l'adduction d'eau, construction de routes , de centres médicaux et d'écoles ou de bibliothèques pour les villages. Ces comportements contribuent à transformer petit à petit les modes de vie et de gestion collective. Les Comoriens vivant en grand dans certaines villes peuvent aussi faciliter la signature de convention d'assistance ou de partenariat entre les mairies françaises et les communes des Comores comme c'est le cas avec la Mairie de Sarcelles et la ville de Tsidjé à la Grande-Comore. La signature d'accords de jumelage peut contribuer à favoriser la coopération décentralisée et le développement local des communes de l'Union des Comores. En associant les différents acteurs (migrants, villageois et les autorités locales), les autorités publiques contribueraient à renforcer la durabilité des infrastructures et des projets productifs mis en œuvre. L'encouragement des initiatives privées et collectives doit constituer un élément non négligeable de la stratégie d'orientation des transferts de fonds vers le secteur productif.

Quelques exemples de stratégies adoptées par certaines banques dans le monde.

Des banques telles que la Caixa Geral de Depositos du Portugal et la Banque Centrale populaire du Maroc ont adopté une stratégie novatrice vis-à-vis des migrants. Elles ne considèrent pas les immigrés qui envoient de l'argent dans leur pays d'origine comme de simples pourvoyeurs de fonds ou de devises. Elles les traitent comme de clientèles normales et leur permettent de bénéficier de véritables services bancaires (prêts pour l'habitat, pour l'investissement, pour la consommation courante). Cette stratégie de diversification des services bancaires accordés aux migrants permet aux banques et aux caisses d'épargne concernées de gagner de l'argent tout en assurant de coûts de transferts faibles et incitatifs.

La banque « Equitable PC Bank » des Philippines offre un ensemble de services concernant les transferts de fonds, l'assurance-vie, l'assurance santé et l'éducation aux futurs candidats à l'émigration qui se présentent aux guichets des services administratifs chargés de l'envoi de la main d'œuvre.
Le groupe MasterCard et la banque interaméricaine de développement sont en train de travailler à « bancariser » le plus possible les transferts de fonds effectués par les migrants originaires d'Amérique latine et du Mexique.

Pour conclure, tous ces exemples montrent que des solutions existent pour résoudre le problème du coût de transferts de fonds de la diaspora. Une politique de réorganisation des services publics et la mise en oeuvre d'une stratégie de communication adaptée combinée avec une politique d'incitations fiscales peuvent contribuer à inciter les Comoriens à investir dans le secteur productif. Bien entendu, cela implique une volonté politique réelle et de longues négociations entre l'Etat, les établissements locaux de crédit et les banques étrangères intéressées. Mais à terme, cela ne pourrait qu'être salutaire pour le développement économique et social de l'Union des Comores en toute modestie.

Darchari MIKIDACHE, économiste et membre fondateur du Cercle des Economistes et des Experts Comoriens de tous horizons (CEEC)

Tag(s) : #Finances et Développement
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