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Un habitant de Somaliland part au marché Crédits : DR

Un habitant de Somaliland part au marché Crédits : DR

Par Emeline Wuilbercq (Contributrice Le Monde Afrique, Addis Abeba)

Un article de LE MONDE, recommandé par le think tank "Cercle desEconomistes et des Experts Comoriens (CEEC) www.ceec-comores.com

 


La communauté internationale est unanime : pour collecter les « milliers de milliards de dollars » indispensables au financement du développement des quinze prochaines années, qui était au cœur des négociations de la conférence d’Addis Abeba qui s’achève ce jeudi 16 juillet, il ne faut plus seulement se contenter de l’aide publique. Tous les pays vont devoir faire l’effort de participer au financement de leur propre développement. Au-delà des deniers des pays du Nord, c’est l’argent des pays du Sud qu’il va falloir collecter, notamment celui des contribuables.

« Le développement de toutes les économies mondiales a pris ses racines dans l’épargne et la taxation domestiques », assure Bertrand Badré, directeur général et financier du groupe de la Banque mondiale. Pour les représentants des pays membres des Nations unies, le potentiel fiscal des pays en développement est considérable. « Mais nous n’avons pas encore l’appareil administratif pour en tirer les bénéfices, déplore Abdoulaye Mar Dieye, directeur régional du bureau du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour l’Afrique. Pour déclencher un financement de développement durable, il faut 20 à 24 % de pression fiscale. » Sur le continent africain, la moyenne de la pression fiscale est d’environ 17 % contre environ 35 % dans les pays riches, avec des taux très bas comme au Nigeria : la première puissance économique africaine atteint à peine 8 %.

Pour combler les lacunes des administrations des pays du Sud, l’organisme onusien veut mettre en place des « inspecteurs des impôts sans frontières ». Le PNUD a profité de la conférence d’Addis Abeba pour lancer lundi 13 juillet cette initiative en partenariat avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Nous faisons appel à des inspecteurs des impôts à la retraite qui ont une expertise et vont travailler aux côtés d’administrateurs locaux des pays en développement pour améliorer la collecte d’impôts », poursuit-il. Et aussi tenter de traquer les fraudeurs.


« Certains se posent la question des capacités et du savoir qui vont être transmis aux pays en développement, explique Pooja Rangaprasad, membre de la Coalition pour la transparence financière. Les scandales qui impliquent des multinationales qui ne paient pas leurs taxes ont prouvé que les administrations fiscales de l’OCDE elles-mêmes avaient du mal à imposer des taxes aux entreprises. »

Les pratiques frauduleuses qui permettent à ces multinationales d’échapper au fisc font perdre près de 100 milliards de dollars de recettes fiscales aux pays en développement, selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Chaque année, des dizaines de millions d’euros s’échappent des pays en développement dans des flux financiers illicites.

Une hémorragie fiscale estimée à plus de 50 milliards de dollars pour le continent africain, davantage que l’aide publique au développement qu’il reçoit. Selon un rapport adopté par l’Union africaine lors du sommet de janvier, les grandes sociétés commerciales sont les premières responsables de ce fléau, avant le crime organisé. Pays du Nord et pays du Sud ont rappelé la nécessité d’éradiquer ce phénomène d’ici 2030.


Pendant trois jours, les discussions ont patiné dans la capitale éthiopienne au sujet de la mise en place d’un organisme fiscal intergouvernemental placé sous l’égide des Nations unies pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, que réclamaient le groupe des 77, qui regroupe 134 pays en développement, et les ONG. Les pays développés, eux, considéraient que les instruments et les mécanismes déjà mis en place, notamment le plan BEPS d’érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices pour lutter contre la fraude fiscale et renforcer la transparence, étaient suffisants et à consolider.

Un accord a finalement été trouvé mercredi 15 juillet au soir : pas d’organisme intergouvernemental mais un renforcement du rôle du Comité d’experts des Nations unies sur la coopération internationale en matière fiscale. Dans le texte de l’accord, les Etats membres ont évoqué la nécessité de renforcer les ressources du Comité et d’augmenter la participation d’experts des pays en développement dans les réunions. Les membres du Comité seront nommés par le secrétaire général des Nations unies Ban Ki moon, après consultation avec les Etats membres.

Il s’agit d’un accord au rabais, selon les membres de la société civile. « Les questions de fiscalité internationale restent dans le cadre du G20 et de l’OCDE. Cela prouve qu’une fois de plus, les pays du Sud n’ont pas leur mot à dire dans ces négociations », regrette Gyekye Tanoh, directeur de l’unité d’économie politique du Réseau du Tiers-Monde Afrique. « C’est inacceptable que malgré la reconnaissance largement partagée des effets dévastateurs des stratagèmes d’optimisation fiscale sur les pays en développement, ces derniers n’aient pas le droit de s’asseoir autour d’une table pour réformer les règles fiscales, poursuit Pooja Rangaprasad de la Coalition pour la transparence financière. Les normes fiscales internationales sont édictées par un groupe de pays riches. C’est antidémocratique. »


« Ne taxez pas nos multinationales, mais imposez les citoyens les plus pauvres du monde à la place », ironise un membre d’une délégation d’Afrique de l’ouest. « Les questions fiscales sont sensibles parce qu’elles touchent à la souveraineté, remarque Bertrand Badré du Groupe de la Banque mondiale. Mais imposer les citoyens ne se réduit pas seulement à de l’oppression fiscale. Il faut mettre en place un vrai contrat social : les citoyens acceptent de payer des impôts s’ils ont une contrepartie comme le développement d’infrastructures, des politiques publiques de santé, d’éducation, une économie qui fonctionne... »

« Les citoyens des pays en développement sont prêts à financer leur développement s’ils sont sûrs que leur argent est dépensé dans leur intérêt social et économique, explique Donald Kaberuka. Ils ne veulent pas voir leurs deniers perdus dans la corruption ou dans des paradis fiscaux. » Mais pour le président sortant de la Banque africaine de développement, l’argent n’est qu’un moyen qui doit s’accompagner d’une bonne gouvernance dans les pays en développement qui jouent parfois le jeu des entreprises.

« Il existe une concurrence fiscale néfaste entre les pays les plus pauvres qui les prive des ressources indispensables pour leur développement, dénonce Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam International. Ils bataillent pour offrir les meilleurs avantages fiscaux aux entreprises étrangères afin d’attirer les investissements. C’est un manque à gagner qui ne peut pas être comblé en imposant davantage les plus pauvres. Ce problème ne peut être résolu qu’en instaurant davantage de coopération internationale en matière de fiscalité. »

Emeline Wuilbercq Contributrice Le Monde Afrique, Addis Abeba

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/16/les-impots-sont-ils-vraiment-necessaires-au-developpement-de-l-afrique_4685431_3212.html#cB3GEP42Zb3D2hWr.99

source web : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/16/les-impots-sont-ils-vraiment-necessaires-au-developpement-de-l-afrique_4685431_3212.html

Tag(s) : #Ficalité- Finances publiques
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