M. Darchari MIKIDACHE, économiste et fiscaliste, président du think tank "Cercle des Economistes et des Experts Comoriens (CEEC)
La valorisation des produits et ressources locaux ainsi que le secteur touristique, secteurs essentiels pour le décollage économique des Comores
Par Darchari MIKIDACHE, Président du Cercle des Economistes et des experts Comoriens (CEEC), économiste et fiscaliste
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Dans ces conditions, comment est-il possible de développer l'emploi dans le secteur privé? Comment relancer l'activité économique de transformation des produits avec label "Made in Comores", seule voie créatrice de richesses, de valeur ajoutée et d'emplois ?
Avant tout, il est essentiel de promouvoir les activités dans les domaines de l'agriculture, l'agro-alimentaire, le développement d'industries de transformation utilisant des ressources nationales, de la main d'œuvre et de produits locaux.
Promotion de l'Agriculture et de l'agro-alimentaire
La création d'un Fonds Stratégique de Développement Agricole en tant qu'Agence Nationale de Promotion de l'Agriculture et des activités agro-alimentaires serait une mesure essentielle à la fois pour développer une agriculture moderne et durable mais également pour encourager les entrepreneurs privés à investir dans les secteurs productifs induisant une création de valeur ajoutée avec la transformation de matières et produits locaux. Parmi les missions qui pourraient être assignées à cette agence figurent les actions suivantes : promotion, formation, coopération Internationale, aide à l'importance des semences, gestion de demande d'exonération où de réduction des importations des intrants et outils de production pour les produits « made in Comores », centre de mutualisation des techniques agricoles, de soutien et d'accompagnement des agriculteurs et des entrepreneurs exerçant leurs activités dans les secteurs de l'agro-alimentaire, aide à la gestion comptable et commerciale, commercialisation et marketing pour la recherche de débouchés (pays de la Commission de Océan indien, COMESA, AGOA...UE). Dans cette optique, la création d'une banque nationale pour le développement de l'agriculture avec l'octroi de crédit à taux spécifique constituerait in instrument complémentaire pour rendre viable la promotion des activités agro-alimentaires. Cela suppose que les autorités publiques augmentent de façon significative le budget national consacré à cette nouvelle stratégie de développement de l'agriculture et de transformation des produits locaux en le faisant passer progressivement sur 5 ans de 1% à 10% puis 15% , soit un fonds annuel de l'ordre de à 5 à 7 milliards de francs comoriens.
Promotion des activités de production et de transformation "Made in Comores"
Il serait essentiel d'accompagner cette nouvelle dynamique de transformation de produits nationaux avec une loi de régulation et de développement économique favorisant la production nationale sous le label : « Made in Comores » :
- politique de réduction des tarifs douaniers pour l'importation des intrants, des semences, des machines agricoles et des appareils de transformation des ressources nationales, des outils de conservation, des machines de construction, d'élevage, de conservation des produits de l'industrie agro-alimentaire, machines outils... Les machines, matériaux, et matériels de construction devraient faire partie de cette liste pour encourager une politique de réduction du coût de la construction afin de favoriser l’accès à l’habitat pour tous et relancer indirectement la croissance économique et donc les recettes fiscales pour l’Etat.
Valorisation de l'entrepreneuriat et du secteur privé
La création d'un Centre National de Gestion Agréé (CNGA) avec des Centres régionaux localisés dans chaque île afin d'accompagner les jeunes créateurs d'entreprises dans leurs projets avec la création d'un Fonds stratégique de développement de l'entreprenariat et du secteur privé (FSDESP) servirait de moteur et de Maison Multiservices de création et d'accompagnement des nouvelles et jeunes entreprises relatifs à des domaines spécifiques prioritaires pour le développement national. Il serait souhaitable par conséquent de créer des Maisons Multiservices de l’Entrepreneuriat (MME), idée déjà évoquée dans mon précédent article intitulé « Entrepreneuriat et jeunesse : éléments de propositions ». Les créateurs d'entreprises passant par ces centres de gestion agréés bénéficieraient d'allègements fiscaux. Des accords pourraient être conclus avec les établissements de crédit en particulier les Mecks et les Sanduk pour qu'ils puissent bénéficier de réduction de taux d'intérêt dans le financement de leurs projets selon la viabilité de ceux-ci.
Intégration du secteur informel dans l'économie nationale
Le projet de loi de régulation économique doit comprendre un volet d'intégration du secteur informel dans l'économie. Celui-ci devrait y inclure un programme national quinquennal de lutte contre le secteur informel. La loi qui en découlerait rendrait obligatoire la tenue d'une comptabilité simplifiée pour toutes activités dépassant un certain seuil de chiffre d'affaires dont les montants sont à négocier et à définir entre les opérateurs économiques, les syndicats, les Chambres de commerce, MODEC et le Ministère de l'Économie... Un délai s'étalant sur une année serait proposé aux "nouveaux opérateurs économiques "qui se déclaraient de leur propre initiative. Ceux-ci seraient invités à adhérer au Centre National de Gestion Agréé (CNGA) pour bénéficier d'exonérations totales d'impôts pour la première année d'entrée en vigueur de la loi de régulation économique et de développement du secteur privé.
De même, l’'apport économique de la diaspora ne doit pas être oublié dans le développement du secteur privé source de création d'emplois et de richesses nationales.
La diaspora au service du développement économique
La diaspora en particulier celle vivant en France devrait être impliquée dans le développement national. Les transferts d’argent de celle-ci représentent plus de 180% du budget national et atteignent presque 25% du Produit intérieur brut (PIB). Le rapport annuel de la Banque Centrale pour l’année évaluait les transferts d’argent de la diaspora à 59 milliards de francs comoriens pour l’année 2013, ce montant ne comprenant pas les transferts informels.
Une loi spécifique pour favoriser les investissements de la diaspora dans le secteur productif et dans des secteurs définis prioritaires par l'Etat est primordiale. Un programme spécifique avec un Guichet Unique devrait être mis en œuvre pour encourager les investissements de la diaspora avec des mesures d'accompagnement spécifiques (selon le caractère productif ou non des biens importés, réduction partielle des tarifs douaniers, abattements fiscaux progressifs sur 5 ans.., guichet unique pour les démarches de création d'entreprises etc.). Pour ce faire, les principales Ambassades de Comores à l'étranger devraient être dotées d'un Bureau ou Centre de Développement Économique dans lequel un délégué de l'agence nationale de la promotion des investissements (ANPI) ou un délégué du Centre National de Gestion Agréé (CNGA). Une représentation de l’Office National du Tourisme (O.N.T) et la création d’un Grand département économique au Ministère des Relations Extérieures (MIREX) avec des relais permanents dans chaque représentation diplomatique constitueraient un soutien et un relais efficace à la politique économique et touristique de l’Etat comorien.
La création de produits financiers et d’épargne attractifs et dédiés au financement de programmes sectoriels de développement économique permettrait de capter et canaliser l’épargne dormante dans les banques et établissements de crédit et assimilés. De tels instruments orienteraient également les transferts d’argent de al diaspora dans les secteurs productifs grâce à des taux d’intérêt bonifiés et d’avantages spécifiques qui seraient accordés aux souscripteurs et qui concernerait des opérations définis prioritaires par l’Etat.
Bien entendu, il est primordial de créer un climat des affaires propre au développement des activités créatrices d'emplois.
Un cadre favorable aux affaires est primordial avec des infrastructures durables
La politique de renforcement du climat des affaires passe par plusieurs facteurs cumulatifs : la poursuite de la politique de prévention et de lutte contre la corruption avec la Commission Nationale de Prévention et de Lutte contre la Corruption (CNPLC), la création de tribunaux de commerce fiables parallèlement au démarrage des activités de la Cour d'Arbitrage, le paiement régulier des traitements et salaires des agents publics et des dettes intérieures de l'Etat, l'amélioration des infrastructures routières, la réduction des délestages électriques, l’approvisionnement régulier en hydrocarbures et énergies alternatives, la poursuite de la construction des infrastructures relatives routières notamment avec l’alimentation du Fonds d’Entretien Routier (FER), la mise en place d’une nouvelle politique de transport s’appuyant notamment sur les accords régionaux « Alliance vanille » et sur des partenaires privés ou étatiques pour le transport aérien afin d’offrir des tarifs accessibles dans un rapport qualité/prix compétitif et enfin la mise en place effective d’une politique d’endiguement de la corruption et de lutte contre l’impunité judiciaire et dans les affaires. Une politique d’incitation à la création spécifique de banque d’affaires serait un atout non négligeable afin d’amorcer une politique d’industrialisation et de transformation des produits locaux avec des capitaux publics et privés. La mise à disposition des 34 millions de dollar par la Banque Islamique de Développement (BID) pour le secteur privé comorien pourrait être un moyen de cofinancé une telle politique. La constitution d’un fonds stratégique de développement du secteur privé et de l’entrepreneuriat pour la jeunesse contribuerait à stimuler les initiatives privées avec la création d’un fonds de garantie.
La professionnalisation de l’enseignement et le développement de l’apprentissage, un moyen de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes et moins jeunes
Une nouvelle politique de professionnalisation de l’enseignement et de création de pôle de lycées techniques et professionnels (au moins un lycée dans chaque île pour commencer) permettrait de mettre en place une politique d’apprentissage et de formation professionnelle pour les jeunes dès le secondaire jusqu’à l’Université. La création d’une taxe d’apprentissage permettrait de cofinancer un tel programme parallèlement à d’autres dispositifs de financement. Cela implique a mise en place d’un cadre de dialogue avec les enseignants, les syndicats et le personnel de l’université des Comores sans oublier les représentants des opérateurs économiques, des écoles privées et des secteurs concernés par cette nouvelle orientation de l’enseignement.
Un programme de mobilisation des ressources fiscales et non fiscales permettrait de financer une partie des mesures préconisées
Certains diront pourquoi faut-il créer des agences ou autres institutions alors que l'Etat n'a pas les moyens? La mise en application de la réforme fiscale avec la loi sur le nouveau code des impôts et celle de réforme de l'administration fiscale (AGID) permettrait non seulement d'augmenter les recettes fiscales mais également de les sécuriser avec notamment la mise en œuvre de la réforme promouvant un système d'information intégré de toutes les directions générales du Ministère des Finances (Budget, Douanes, Impôts et Trésor). Cela suppose d’une réorganisation des services fiscaux soit mise en œuvre avec un programme de formation permanente et recyclage des agents publics afin d’accroitre l’efficacité du recouvrement fiscal et non fiscal. La mise en œuvre d’un recensement des contribuables y compris ceux du secteur informel permettrait de disposer en fin d’un fichier national sécurisé de tous contribuables particuliers et des contribuables professionnels (généralisation de l’attribution des NIF (Numéros d’Identification Fiscale). Une telle politique ne pourrait faire l’économie d’un élargissement de l'assiette fiscale, (cf. mon article intitulé « Principe de reforme de la fiscalité aux Comores ») sans augmenter pour autant la pression fiscale. Une telle réorganisation et une telle réforme ne pourraient être viables que si les procédures de recouvrement des impôts soient revues afin de les rendre efficaces tout en augmentant le taux de recouvrement territorial.
Darchari MIKIDACHE
Président du Cercle des Économistes et des Experts Comoriens
Contact : ceec.comores@gmail.com